La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/08/2013 | FRANCE | N°2013-336

France | France, Conseil constitutionnel, 01 août 2013, 2013-336


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 juin 2013 par le Conseil d'État (décision n° 366880 du 10 juin 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Natixis Asset Management, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 et du premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2004.

LE CONSEIL CONSTITUTIO

NNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre ...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 juin 2013 par le Conseil d'État (décision n° 366880 du 10 juin 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Natixis Asset Management, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 et du premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2004.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés ;

Vu la loi n° 90-1002 du 7 novembre 1990 modifiant l'ordonnance no 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés ;

Vu la loi n° 94-640 du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise ;

Vu la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 ;

Vu le code du travail ;

Vu les arrêts de la Cour de cassation (chambre sociale) n° 98-20304 du 6 juin 2000, n° 09-72281 du 29 juin 2011 et n° 09-67786 du 8 novembre 2011 ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la requérante par la SCP UGGC Avocats et la SCP Delaporte, Briard et Trichet, enregistrées les 1er et 15 juillet 2013 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 juillet 2013 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la lettre du 19 juillet 2013 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;

Me Thierry Dal Farra, avocat au barreau de Paris, pour la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 23 juillet 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 susvisée relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés : « Un décret en Conseil d'État détermine les entreprises publiques et les sociétés nationales qui sont soumises aux dispositions du présent chapitre. Il fixe les conditions dans lesquelles ces dispositions leur sont applicables » ;

2. Considérant qu'en vertu du a) du paragraphe II de l'article 33 de la loi du 25 juillet 1994 susvisée, le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 est devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail ; que l'article 85 de la loi du 30 décembre 2004 susvisée a modifié la rédaction de ce premier alinéa ; que le Conseil constitutionnel en est saisi dans sa rédaction antérieure à cette loi ;

3. Considérant que, selon la société requérante, l'interprétation que la chambre sociale de la Cour de cassation a retenue de la notion « d'entreprise publique » dans son arrêt du 6 juin 2000 susvisé porte atteinte à la garantie des situations légalement acquises reconnue par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, compte tenu de cette interprétation, ces dispositions seraient également contraires aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques énoncés aux articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 ;

4. Considérant qu'en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a soulevé d'office le grief tiré de ce qu'en ne définissant pas la notion d'entreprise publique, les dispositions contestées méconnaîtraient l'étendue de la compétence du législateur dans des conditions qui affectent la liberté d'entreprendre et le droit de propriété ;

- SUR LES DISPOSITIONS SOUMISES À L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

5. Considérant qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité sur une disposition législative, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ;

6. Considérant que, par l'arrêt du 6 juin 2000, la Cour de cassation a jugé que « l'article 7 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 énonce un principe d'assujettissement général à la participation obligatoire aux résultats de l'entreprise ; que les dispositions du décret du 26 novembre 1987 ne posent de conditions particulières à l'assujettissement obligatoire, que pour les entreprises publiques et les sociétés nationales, et distinguent celles qui figurent sur la liste de l'article 4 ou dont plus de la moitié du capital est détenu par l'une de celles-ci, et celles qui ne remplissent pas ces conditions, les premières étant assujetties de plein droit, les dernières pouvant l'être sur autorisation ministérielle ; qu'il en résulte qu'une personne de droit privé, ayant pour objet une activité purement commerciale qui n'est ni une entreprise publique ni une société nationale peu important l'origine du capital, n'entre pas dans le champ d'application du décret et doit être soumise aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 » ; que cette interprétation a été confirmée par les arrêts du 29 juin et du 8 novembre 2011 susvisés ;

7. Considérant qu'ainsi, selon la portée que leur confère la jurisprudence constante de la Cour de cassation, les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel impliquent que les sociétés de droit privé ayant une activité « purement commerciale » sont soumises de plein droit à l'obligation d'instituer un dispositif de participation de leurs salariés aux résultats de l'entreprise, même si leur capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques ;

- SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES :

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :

8. Considérant que la société requérante soutient qu'il résulte de la jurisprudence tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d'État et de la Cour de cassation que toute entreprise dont le capital est majoritairement détenu par une personne publique constitue une entreprise publique ; qu'en jugeant, le 6 juin 2000, que certaines entreprises dont le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques ne sont pas des entreprises publiques, la chambre sociale de la Cour de cassation aurait adopté, de façon rétroactive, une interprétation de ces dispositions qui est contraire à celle qui pouvait légitimement en être attendue ; que cette interprétation imprévisible et tardive aurait empêché les entreprises intéressées de respecter l'obligation qui en résulte d'instaurer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats et aurait ainsi porté atteinte au droit au respect des situations légalement acquises garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;

9. Considérant que le législateur méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

10. Considérant que l'interprétation que la Cour de cassation a retenue de la notion « d'entreprise publique » figurant à l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 n'a pas porté atteinte à une situation légalement acquise ; que, par suite, le grief doit être écarté ;

. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques :

11. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions contestées ont pour effet de traiter différemment les entreprises dont le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques dépassant le seuil de salariés à partir duquel la participation est obligatoire qui figurent sur la liste établie par décret, et celles qui, bien que ne figurant pas sur cette liste, sont également soumises aux mêmes obligations au regard du droit des salariés à la participation ; que cette différence de traitement ne serait justifiée par aucun motif d'intérêt général ; qu'il en résulterait également une atteinte à l'égalité devant les charges publiques, en raison des implications du versement rétroactif de la participation aux salariés sur l'acquittement du forfait social par les entreprises dont le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques ;

12. Considérant que l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ;

13. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ;

14. Considérant, d'une part, que les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, ont pour effet de soumettre aux obligations en matière de participation tant les entreprises publiques dont la liste est fixée par le décret prévu au premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 que les entreprises dont le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques mais qui ont une activité purement commerciale ; qu'en soumettant à une même obligation des entreprises placées dans des situations différentes, ces dispositions ne sont pas contraires au principe d'égalité devant la loi ;

15. Considérant, d'autre part, que les obligations auxquelles les entreprises sont soumises au titre de la participation des salariés à leurs résultats ne sont pas des charges publiques ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 est inopérant ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence :

16. Considérant que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

17. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ; qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ;

18. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a soustrait les « entreprises publiques » à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise ; qu'il n'a pas fixé la liste des « entreprises publiques » auxquelles, par dérogation à cette règle, cette obligation s'applique ; qu'il s'est borné à renvoyer au décret le soin de désigner celles des entreprises publiques qui y seraient néanmoins soumises ; que le législateur s'est ainsi abstenu de définir le critère en fonction duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation en ne se référant pas, par exemple, à un critère fondé sur l'origine du capital ou la nature de l'activité ; qu'il n'a pas encadré le renvoi au décret et a conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour modifier le champ d'application de la loi ; qu'en reportant ainsi sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi, il a méconnu l'étendue de sa compétence ;

19. Considérant que la liberté d'entreprendre résulte de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ; que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation faite aux entreprises d'instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats affecte par elle-même l'exercice de la liberté d'entreprendre ;

20. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004 susvisée, doit être déclaré contraire à la Constitution ;

- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :

21. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

22. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004, prend effet à compter de la publication de la présente décision ; que les salariés des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par des personnes publiques ne peuvent, en application du chapitre II de l'ordonnance du 21 octobre 1986 susvisée ultérieurement introduite dans le code du travail, demander, y compris dans les instances en cours, qu'un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur ; que cette déclaration d'inconstitutionnalité ne peut conduire à ce que les sommes versées au titre de la participation sur le fondement de ces dispositions donnent lieu à répétition,

D É C I D E :

Article 1er.- Le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, est contraire à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au considérant 22.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er août 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.


Synthèse
Numéro de décision : 2013-336
Date de la décision : 01/08/2013
Société Natixis Asset Management [Participation des salariés aux résultats de l'entreprise dans les entreprises publiques]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 01 août 2013 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 01 août 2013 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2013-336 QPC du 01 août 2013
Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2013:2013.336.QPC
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award